[RP-01] Exquisite corpse

Si l'Inspecteur Brooks s'était machinalement équipée de son arme de poing avant de quitter le commissariat, ce n'était nullement dû à une quelconque soif de violence permanente, trait qu'on lui prêtait volontiers compte tenu de son tempérament pour le moins abrasif. Non, le fait est qu'elle connaissait tout simplement cette ville comme sa poche, et elle savait pertinemment que la Rue de l'Embuche, en adéquation avec son nom évocateur, se situait dans un des quartiers des plus mal famés, responsable à lui seul de la majeure partie du taux de criminalité de la ville.

Elle déboutonna la lanière de son holster, et conserva une main sur la crosse de son arme, prête à s'en emparer au moindre signe suspect. Comme d'habitude lorsqu'ils se retrouvaient dans une situation à risque, elle était celle qui prenait les devants, Raphaël, bien que tout à fait apte à réagir en cas de danger, préférant suivre ses indications.

- On reste sur nos gardes, tant qu'on a pas une idée précise de ce qui nous a ammené ici. Et on ne dégaine pas nos armes sans bonne raison : vu notre côte de popularité dans le coin, ca sert à rien de donner du grain à moudre aux petites frappes qui glandent dans les parages.

Elle parcourut alors l'endroit des yeux, scrutant le moindre détail susceptible de les aiguiller, et comme son partenaire, s'arrêta sur le cabanon qui se tenait au loin, solitaire.

- Si l'adresse qu'on nous a filé n'est pas bidon, je pense que c'est par là qu'il faut commencer.

Posant à nouveau son regard sur Raphaël tout en concluant sa phrase, Sydney constata qu'il semblait distrait.

- Tu as vu quelque chose ? demanda t-elle très sérieusement.

Si Sydney n'avait rien remarqué de suspect pour l'instant, elle comprenait parfaitement ce que Raphaël ressentait. Dans un cadre naturellement hostile comme celui dans lequel ils évoluaient actuellement, il était aisé de s'imaginer épié, pour la simple et bonne raison que c'était probablement le cas. Il y avait probablement quelqu'un en train de les observer à une fenêtre, ou tapi dans l'ombre d'un angle de rue mal éclairé. Mais ce n'était pas pour autant qu'il fallait laisser le stress s'emparer de soi, car c'était le chemin le plus sur vers une belle bavure. Pour l'instant, ils allaient se montrer attentifs au moindre signe suspect, en espérant que cela leur soit suffisant.

Les deux inspecteurs avaient parcouru les quelques foulées qui les séparaient du cabanon solitaire. Si son apparence laissait grandement à désirer, il n'était pas improbable qu'il serve de squat, ou dans le pire des cas, de planque à quelques dealers comme le quartier en comptait des dizaines. Compte tenu de la teneur de l'appel qu'elle avait reçu, Sydney décida de jouer la carte de la prudence, et sortit son arme, avant de répondre par l'affirmative à Raphaël.

Elle frappa alors trois coups sourds contre ce qui faisait office de porte.

- Police Criminelle ! Nous répondons à un appel d'urgence. Si il y'a quelqu'un là dedans veuillez ouvrir immédiatement.

Seul le vent s'engouffrant dans les nombreuses fissures du fragile édifice répondit à l'inspecteur. Elle frappa à nouveau et réitéra son petit laïus, pour un résultat aussi peu probant. Elle lança un regard déterminé à son coéquipier, lui signifiant clairement son intention d'entrer. Pointant son revolver en l'air, elle fit face à la porte, et donna un puissant coup de pied à côté de la serrure, qui s'avéra bien trop vétuste pour résister. L'arme au poing, Sydney s'engouffra dans la bicoque, suivie de près par Raphaël.

Deux minutes auparavant ...

Une odeur métallique. Telle fut la première chose qui frappa Raphaël alors qu'ils venaient de pénétrer dans le cabanon. Une odeur qu'il ne connaissait hélas que trop bien . La seule lumière étant celle provenant de l'extérieur puisqu'il n'y avait aucune fenêtre permettant d'éclairer , une partie de la bicoque baignait dans l'obscurité. Et l'inspecteur ne se faisait aucune idée sur ce qui les attendait dans ces coins sombres. Sans aucun doute ils allaient trouver une personne qui se vidait de son sang. Et vu le silence qui régnait,  il était certainement trop tard pour elle.

Raphaël farfouilla dans ses poches à la recherche d'une lampe de poche. Il ne faisait aucun doute qu'il devait y avoir quelque part un interrupteur pour l'éclairage du cabanon mais faute de gants il voulait à tout prix éviter de contaminer la scène de crime. Aussi décida-t-il de fermer au mieux la porte derrière lui . Lorsqu'il trouva l'objet , il laissa échapper un petit grognement avant de sortir la lampe de sa poche et de l'allumer. Ce qu'il aperçut lui ôta un juron :  

Et merde ...

Dans un coin de la pièce , un homme était affalé sur ce qui semblait être un bureau , assis sur une chaise. Et il ne faisait aucun doute que ce dernier était décédé. N'importe qui aurait pu tenir de telles conclusions en apercevant ses vêtements maculés de sang et le couteau planté entre ses omoplates. Mais quelque chose surprit l'inspecteur. A l'exact opposé de la pièce gisait au sol une autre personne , elle aussi portant des vêtements maculés de sang , mais contrairement à l'autre elle ne présentait aucun signe apparent de blessures. Raphaël se précipita pour prendre son pouls. S'il y avait une chance pour qu'elle soit en vie alors ils ne devaient pas perdre de temps pour appeler les secours. Le résultat ne se fit pas attendre ... Raphaël se tourna vers sa collègue.  

Elle ... elle respire. Faiblement , mais elle est en vie. Appelez une ambulance. Et aussi le commissariat. On a un meurtre sur les bras .

Alors même qu'il prononça ces quelques mots , la clique d'avocats pénétra dans la pièce. devant le bruit , Raphaël porta instinctivement la main à son arme. Mais Sydney fut plus rapide à réagir.

Deux minutes auparavant ...

Eh merde ...

Les premiers mots qui passèrent par la tête de Sydney à peine la porte du cabanon franchie trouvèrent bientôt un écho inattendu dans la bouche de son partenaire, contrastant ainsi avec son langage d'habitude si policé. Mais elle savait pertinemment que Raphaël était humain, et que lorsqu'il était confronté à l'horreur indicible que représentait une scène de crime, il était prompt à mettre de côté son pragmatisme habituel.

C'était malheureux à dire, mais en ce qui la concernait, elle s'était habituée. Les premières affaires qu'on lui avait confié lorsqu'elle avait été transférée à la Criminelle l'avaient évidemment chamboulée au point qu'elle avait rendu le contenu de son estomac une ou deux fois (évitant de justesse la contamination de la scène de crime), mais à présent, elle était devenue un inspecteur aguerri que même l'odeur ténue du sang séché lui paressait coutumière.

Elle laissa Raphaël inspecter la scène de crime, préférant concentrer son attention sur la présence d'un éventuel malfaiteur sur les lieux, l'arme au poing. L'obscurité qui régnait dans le réduit ne l'aida pas forcément. Elle cherchait encore sa propre lampe de poche quand son partenaire alluma la sienne, confirmant ce que son instinct lui criait depuis qu'elle avait enfoncé cette porte. Ils étaient bel et bien sur une scène de meurtre. Dans ce genre de situations, ils avaient tacitement définis leurs rôles respectifs : très versée dans la médecine légale et les investigations scientifiques, Raphaël se chargeait de préserver la scène de crime et de récolter les premiers éléments sur les corps, tandis que Sydney inspectait les lieux, tant à la recherche d'indices potentiels que pour sécuriser le périmètre. Mais il était difficile d'y voir quelque chose dans ce cabanon. C'est alors que son partenaire mit en évidence la présence d'une autre personne, qui après un rapide examen, s'avéra être en vie, "mais pas dans une situation très envieuse" conclut mentalement Sydney, qui ne connaissait que trop bien ce genre de scénario.

Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus avant, puisqu'à la seconde où elle entendit la porte du cabanon s'ouvrir, elle avait effectué une volte-face digne de James Bond pour braquer son arme sur la première personne qui était entrée, en l'occurence Noctus.

- PAS UN GESTE, ENFOIRÉ !!! POLICE CRIMINELLE !!! LES MAINS DERRIERE LA ... Ah, c'est vous, les gosses ?

Elle venait de remarquer la présence d'Apollo Justice et Maya Fey, qu'elle avait déjà croisé sur d'autres scènes de crime lorsqu'ils secondaient Phoenix Wright. Elle ne connaissait en revanche pas celui qui avait ouvert la marche. Elle baissa néanmoins son arme, mais affichait clairement sa désapprobation quand à leur présence ici.

- C'est pas possible, vous vous débrouillez toujours pour vous retrouver au beau milieu des emmerdes ! Qu'est-ce que vous foutez là ? On a même pas encore signalé le meurtre !

Sydney ne fit absolument aucun effort pour dissimuler son irritation face à la présence indésirable du trio d'avocats sur la scène de crime. Oh, bien sur, cela arrivait souvent, car dans l'espèce de guéguerre puérile qui opposait les Procureurs aux Avocats, celui qui parvenait à obtenir des infos ou des indices avant l'autre se retrouvait avec un sérieux avantage. Mais l'inspectrice, à l'inverse d'un certain individu parmi ses collègues qui se complaisait à fournir volontairement des informations à qui les demandaient, goutait fort peu ce genre de familiarités, à plus forte raison quand les avocats de la Défense étaient là avant tout le monde, dans des circonstances suspectes.

C'est alors que Noctus s'adressa à elle, sur un ton qu'elle jugea beaucoup trop calme pour quelqu'un qui débaroulait au beau milieu d'un bain de sang. Son sourcil droit se dressa soudainement, complétant l'expression d'effarement que reflétait le visage de la policière.

- Qu'est-ce qui vous ammène ici ? reprit-elle, non sans imiter (volontairement mal) le ton du jeune avocat. Non mais vous m'avez prise pour un gros crétin avec un imper dégueulasse ou quoi ?

La voix calme et posée de Raphaël l'empêcha (temporairement) de s'emporter plus avant, mais elle avait pleinement conscience de ce qui était en jeu ici : la contamination de la scène de crime. Elle approuva donc vivement la demande de son partenaire, tout en rengainant néanmoins son automatique, avant d'escorter sans ménagement les trois gugusses vers la sortie.

- Bon, on va mettre les choses au point tout de suite avant que je me foute vraiment en rogne, les prévint-elle aussitôt à l'extérieur du cabanon, le ton employé ne laissant aucune place à la réplique. Vous avez peut être pu croire par le passé qu'il suffisait de se pointer sur n'importe quelle scène de crime avec une gueule d'endive pour qu'on réponde à vos questions et qu'on vous file des indices comme des Kinders. Mais contrairement à cette buse de Tektiv, l'Inspecteur Danton et moi-même n'avons pas gagné notre badge d'inspecteur sur une enchère E-Bay. Donc le coup de l'interrogatoire inversé, vous pouvez déjà oublier. Surtout que pour le coup, vous avez absolument rien à foutre là ! Vous défendez qui ? On a même pas encore signalé ce putain de crime au central ! Alors si vous voulez pas finir en garde à vue direct, je vous conseille de me donner tous les détails qui vous ont amenés à être présent sur les lieux d'un homicide. Et j'ai pas toute la journée, alors au trot !

Il semblait bien que l'inspectrice avait décidé de se la jouer autoritaire, parce que vraiment menacer un civil de son arme, n'était absolument pas une bavure! Enfin, il pourrait bien avoir à faire à elle dans le futur, alors il n'allait pas s'en offusquer hein! Mais il y avait deux choses qu'ele avait dit, deux choses qui mises ensemble donnait une nouvelle dimension à tout ça. D'abord, et elle avait insisté dessus, ils n'étaient pas n'importe qui, des inspecteurs de la crim, et deuxième message ils n'ont pas encore signalé ce crime au commissariat. Traduction, ils étaient les premiers arrivés sur les lieux du crime. Et là, ça ne pouvait être une coïncidence. Ce lieu était littéralement paumé, il semblerait bien que la poicière et son collègue aient reçu un coup de fil aussi.

-À titre de précision, je crois qu'il était près de 9h00 quand mademoiselle Fey et monsieur Justice sont sortis du bureau.

Il porta un oeil sur son cellulaire pour calculer la différence. Une demi-heure, retirer 5 minutes environ pour le moment où ils avaient la cabane sous les yeux, et la présence des inspecteurs avant eux mais sans avoir eu le temps de signaler le meurtre au commisariat. Étrange, les inspecteurs devaient être dedans depuis plus de cinq minutes. Disons que leur rencontre a duré trois minutes... Et là il étendait. Ils devaient être entrés vers vingt-quatre. Donc, vu qu'il n'avait pas entendu d'autres voix, la ou les victimes étaient seules vers ces eaux, peut-être deux minutes de plus en comptant le temps mis par la police pour venir. Il devait donc y avoir un décallage de vingt deux minutes entre l'appel et l'arrivée. De plus, il n'est pas impossible que d'autres personnes que la ou les victimes se trouvent dans cette pièce non éclairée, il fallai voir la chose sous un angle mathématique.

*Arrivons au moment où la police arrive, on va supposer qu'il y a un individu ou plus dedans.

Dans son cellullaire il écrivit "1+"

*Le problème c'est avant. À 9h, la probabilité de meurtre est proche du cent pour cent, soit par ce que c'est déjà arrivé, soit parce que ça va arriver. D'autre part cette porte défoncée quand a-t-elle été défoncée, ou c'est la crime et on a une chambre close, ou un témoin et cette chambre est toujours close, ou il a fallu la défoncer pour commettre ce crime.

À ce stade on pouvait lire "1+ 9h100 0/1 kc ? chambre close?"

*Trop de possibilités. Cherchons les impossibilités, si quelqu'un voulait téléphonner d'ici.

Ses yeux balayèrent la cabane. Mais il ne trouva rien d'inhabituel, en tout cas il ne voyait pas de câbles au sol ou sur le toit.

*Ce qui veut dire qu'à moins que ceux-ci soient enterrés, il n'y a pas de téléphone dedans. Autrement dit si on ne trouve pas de portables, on aura enfin une impossibilité! À 9h22 il était impossible de téléphonner depuis cette cabane.

"1+9h 100 0/1 kc? chambre close? portable 9h22".

-Nous sommes désolés d'avoir déboulé sur votre scène de crime, mais sommes nous en état d'arrestation?

Il n'allait sûrement pas gêner l'enquête, si on lui posait des questions il y répondrait, mais honnêtement que dire de plus que ce que Maya venait de dire?

Sydney accueillit la remarque de Maya visant à défendre Tektiv avec un haussement d'épaule et un sourire sarcastique :

Pfeuh ! Laisse-moi te dire un truc, ma p'tite : si il bouffait régulièrement ton petit dej' et qu'il avait manqué de te faire foirer une affaire en omettant de te transmettre des messages importants, tu serais probablement moins indulgente avec Tektiv ! M'enfin ...

Lorsque la jeune médium s'employa à lui donner les détails expliquant leur présence ici, l'apparente hostilité de l'inspectrice laissa subtilement la place à une expression concernée. Si elle n'avait pas hésité une seule seconde à leur aboyer dessus, pour bien leur faire comprendre qu'ils n'avaient pas tous les droits, elle n'en demeurait pas moins professionnelle, et leur témoignage pourrait certainement lui être utile.

- Hum ... Un coup de fil, hein ?

Sydney était perplexe, et pourtant, elle ne remit pas une seule seconde en doute le témoignage de Maya. Alors eux aussi avaient été notifiés par le mystérieux correspondant à qui elle avait eu affaire ? Cela n'avait aucun sens : quel intérêt de dépêcher des avocats sur les lieux d'un homicide ? Est-ce que la personne avait tenu à prévenir ces avocats-ci précisément et si oui, pourquoi ? Ou bien avait-il pris le premier nom qu'il avait trouvé dans les pages jaunes ? Tout ceci était pour l'instant bien obscur, mais après tout, l'enquête n'en n'était qu'à ses balbutiements.

Elle fut tirée de ses réflexions par la remarque timide de Maya et la question de Noctus. Si elle répondit encore une fois en s'énervant, on pouvait toutefois déceler une pointe d'inquiétude dans sa voix, à la manière d'une mère qui disputait son enfant après que celui-ci ait faillit faire une bêtise dangereuse pour lui.

- Évidemment que vous auriez du appeler la Police, bande de nouilles ! Vous vous êtes pas dit une seule seconde que vous pouviez vous mettre en danger ? Non, vous êtes venus ici, et vous débarquez comme des fleurs au beau milieu d'une scène de crime ! Imaginez si le tueur était encore sur place ! Encore heureux que je sache manier une arme, parce que si ça avait été Ballaud au lieu de moi, vous étiez pas à l'abri d'une balle perdue ! Bref ... soupira t-elle, résignée.

- Non, vous n'êtes pas en état d'arrestation ! Mais vous devrez rester à disposition de la police si on a d'autres questions à vous poser. En attendant, je vous conseille de ne pas trainer dans le coin. Le quartier est pas spécialement réputé pour être accueillant ...

La patience n'était pas une des vertues primaires de l'inspecteur Brooks, qui tapota du bout du pied en voyant que le trio d'avocats n'avait toujours pas décidé de faire demi-tour. Poussant un long soupir trahissant son agacement, elle répondit à Maya :

- Ecoute, ma petite, je sais pas vraiment quelle langue on parle chez les médiums, mais je vais essayer de faire concis : vous n'avez absolument rien à faire sur une scène de crime dont l'investigation est en cours, à plus forte raison sans client à représenter. Alors soit vous retournez gentiment chez Papa Wright en attendant qu'on vous convoque, soit je vous embarque directement en garde à vue pour obstruction à la justice. Vous voulez aider, je connais le couplet, mais pour l'instant, c'est notre boulot. Et c'est pas en vous babysittant qu'on va pouvoir le faire correctement.